Dans cet article, Laurence nous fait un retour d’expérience après 7 années de test de milpa en France métropolitaine. Suivez le guide et n’hésitez pas à vous inspirer de ses conseils !
Texte : Laurence Chassignol
Sommaire
Les origines de la milpa
Beaucoup d’entre vous ont sans doute entendu parler de la milpa, sans forcément savoir ce qui se cache derrière ce terme. Le mot est dérivé du nahuatl mil-pa, qui signifie « ce qui est semé dans les champs ». Cela recouvre des techniques culturales pratiquées principalement en Amérique du Nord et en Amérique centrale. Son origine est très ancienne, mais elle semble naître chez les Iroquois, où on parle alors des « trois sœurs ». Les esprits du maïs, du haricot et de la courge étaient vus comme trois sœurs qui aimaient rester l’une près de l’autre et devaient vivre en symbiose. On prétendait même qu’au clair de lune elles prenaient des formes humaines féminines et dansaient à l’ombre des champs de maïs, chantant des louanges à leur mère, la terre.
Ces trois plantes étaient considérées comme des cadeaux du Créateur. La technique semble s’être diffusée dans toute la Méso-Amérique. La survie de ces populations reposant alors beaucoup sur ces trois aliments essentiels et faciles à stocker que sont le maïs, les haricots et les courges. En pratique elle a souvent évolué vers un système associatif débordant largement du cadre réduit des trois plantes citées ci-dessus.
Ce type de compagnonnage vous intéresse au jardin ? Retrouvez notre articles avec 14 conseils pour réussir vos associations de culture
Les bénéfices apportés par l’association des trois sœurs
La milpa d’origine est l’exemple même de la synergie que peut apporter une association culturale bien menée :
- le maïs sert de tuteur aux haricots à rame,
- les haricots apportent au maïs, non pas de l’azote comme on l’a longtemps cru. En effet, l’azote de l’air fixé dans les nodules des légumineuses n’est disponible que si on tue la plante avant la floraison. Sinon, l’azote ainsi stocké est utilisé en grande majorité lors de la floraison puis de la fructification, et n’est de toute façon disponible dans le sol qu’après la mort de la plante, quand les nodules se décomposent.
- enfin, les courges servent de couvre-sol et en maintiennent l’humidité, ce qui était essentiel pour des populations qui n’avaient pas de moyens d’irrigation mécanisés, et le devient pour nous qui, du fait des sécheresses de plus en plus fréquentes, devons chercher à économiser l’eau.
Pour que le système fonctionne, il fallait également sélectionner des variétés qui se récoltent en même temps. En effet, une milpa bien menée devient une jungle impénétrable dans laquelle circuler pour récolter est une gageure. On cultivait donc des maïs à farine ou polenta, qui se récoltent mûrs à l’automne, des haricots à consommer secs et des courges de garde. Le maïs doux que l’on mange en salade se récolte plus précocement, ce qui rend cette association tout de suite mois évidente. On peut bien sûr envisager de remplacer tel ou tel élément de la milpa par un autre offrant une même synergie, mais il faut garder en tête qu’il est important que les légumes se récoltent tous ensemble et ne nécessitent pas de soins en cours de culture.
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Mon expérience personnelle
Ça fait maintenant 7 ans que j’expérimente les trois sœurs à l’échelle familiale sur mon terrain. La surface ainsi cultivée est d’environ 200 m2. C’est suffisamment peu pour pouvoir être mené sans mécanisation. Même si on travaille le terrain en amont en traction animale, cette première opération pourrait tout à fait être réalisée manuellement, mais c’est aussi suffisamment grand pour bénéficier de la synergie apportée par l’association. On ne peut espérer en tirer tous les avantages sur une trop petite surface.
Enfin, il ne faut pas oublier que si l’on souhaite récupérer ses propres semences pour continuer le long travail d’adaptation commencé par nos ancêtres, il faut au minimum 300 pieds de maïs pour un bon brassage génétique. (Et aussi être protégé d’autres cultures de maïs, que ce soit les champs en conventionnel ou les cultures potagères de vos voisins, car les maïs s’hybrident extrêmement facilement).
Les avantages de la milpa
• Résilience de l’écosystème : ravageurs, maladies, réchauffement climatique
• Sol couvert : enherbement plus facile à gérer, biodiversité, moins d’évaporation, moins d’érosion, température plus fraîche biomasse importante : nourrituree pour les humains, et pour le sol !
• Captation de l’énergie solaire optimale
• Synergie entre les plantes : espaces et nutriments optimisés
• Séquestration du CO2
Détails de l’itinéraire cultural expérimenté
Dans les pays proches de l’équateur, maïs, haricots et courges étaient semés en même temps. En France continentale, ce n’est pas une technique qui fonctionne bien. Si les maïs ne poussent rapidement qu’en jours courts, les haricots ont besoin de chaleur pour bien se développer. Je conseille donc de semer les maïs bien avant les deux autres.
Le choix du maïs population
Ici, j’ai utilisé au départ un mélange de plusieurs variétés de maïs population à farine (maïs dentés). Pourquoi un mélange ? Parce qu’il n’est malheureusement pas facile de se procurer des variétés population locales et que je n’avais pas assez d’épis d’une seule variété pour un bon brassage génétique. J’ai donc mélangé du « grand cachalut », un maïs blanc du Gers, avec du « bloody butcher », un maïs population américain et enfin un maïs local récupéré au sein de la Maison des Semences Paysannes de mon département.
Malgré une légère disparité de taille des plants et de date de maturité, ils m’ont donné toute satisfaction. L’hybridation naturelle de ces trois maïs donnera naissance à une nouvelle variété qui devrait être stabilisée d’ici 7 à 8 ans. Au fur et à mesure des générations, elle va s’adapter à mon terroir.
Il vaut mieux éviter les maïs péruviens ou mexicains. Pas encore acclimatés à notre latitude et qui peinent à former leurs épis avant la mauvaise saison. Il faut également choisir des maïs assez vigoureux. Les maïs à pop-corn nains ne conviennent pas. Ils sont trop courts et trop frêles pour résister au poids des haricots à rame.
La préparation du terrain
La première opération consiste à préparer le terrain. Ici en traction animale et en billons écartés de 80 cm, mais ça n’a rien d’obligatoire. Le semis du maïs se fait directement en pleine terre. Il est possible d’envisager un semis en godet, mais l’enracinement en pâtira.
Quant au repiquage à racine nu, il ne donne pas de bons résultats. Sous mon climat — je suis dans le Lot avec des printemps assez doux, mais des coups de froid tardifs possibles —, et dans un sol plutôt sablonneux acide qui se réchauffe assez vite, je sème dès la fin du mois de mars si les conditions le permettent. Les maïs que j’utilise résistent en général à de petites gelées ne dépassant pas -3 °C. (Mais cela dépend aussi de la durée du coup de froid et de l’humidité du sol au moment du gel).
Vous pouvez semer votre maïs jusque début mai, après ça ne tardez pas !
J’utilise un semoir pour gagner du temps. On peut parfaitement envisager de semer manuellement 1 à 2 graines tous les 40 cm. Je sème un billon sur deux, ce qui fait que mes rangs de maïs sont écartés de 1 m 60.
Il faut plusieurs rangs, car le maïs se pollinise par le vent. Il vaut donc mieux une surface finale carrée, ronde ou rectangulaire assez large plutôt qu’une longue ligne. Quand le maïs fait une dizaine de cm de haut, j’éclaircis mon semis. Si on a semé deux graines par trou, on ne laisse que le plus beau des deux. Je bute ensuite légèrement pour améliorer l’enracinement du maïs.
Échelonner les semis des trois soeurs
En avril, je sème mes courges en godets, mais on peut semer en mai directement en place si on préfère.
En mai, quand les gelées ne sont plus à craindre, je plante les courges (ou on les sème en place) sur les billons laissés libres.
Je serre un peu plus sur le rang que dans une culture traditionnelle afin que les courges couvrent bien le sol une fois qu’elles seront développées. Je cultive plusieurs variétés de courges, mais toutes coureuses pour l’ombrage du sol. Je privilégie des variétés se récoltant à l’automne pour pallier à l’impossibilité de circuler facilement en cours de culture. Comme je fais mes semences, j’essaye pour cette raison de mettre sur les rangs extérieurs celles que je vais avoir à polliniser manuellement cette année-là.
Vous souhaitez vous aussi produire vos semences de courges ? Voici un article qui vous expliquera comment produire vos semences de courges et vous aidera à comprendre le phénomène d’hybridation
En sol réchauffé, vers la mi-mai en général, je sème les haricots par poquets de 2 ou 3 entre chaque pied de maïs. J’installe ensuite des tuyaux d’irrigation au goutte-à- goutte, puis un épais paillage. Si les maïs population sont bien plus résistants aux sécheresses qu’on ne le croit, les haricots ne fructifient correctement qu’avec suffisamment d’eau. Ces dernières années, les sécheresses de plus en plus intenses ne m’ont posé aucun problème pour le maïs. En revanche la productivité des haricots s’en est ressentie. Une fois l’irrigation et le paillage installés (et la pollinisation manuelle effectuée pour les courges qui doivent produire de la semence), je ne mets plus les pieds dans la parcelle avant l’automne, quand les épis sont mûrs, les haricots secs et les feuilles des courges desséchées.
Quand récolter votre milpa?
Vient alors le temps de la récolte. De toutes les céréales que j’ai testées, le maïs est la plus facile à produire sans outillage. Les épis sont à hauteur d’homme sur des pieds qui mesurent aisément 3 m, et une simple torsion suffit à détacher l’épi.
On peut ensuite les déballer tranquillement sur une table sans fatigue inutile. Les haricots sont également pour la plupart à bonne hauteur pour une cueillette facile. Seules les courges demandent tout de même à se baisser.
Selon les années, je récolte ainsi une quarantaine de kilos de maïs à farine (une fois égrainé). Également 5 à 6 kilos de haricots secs écossés (beaucoup moins ces trois dernières années, malgré l’arrosage).
Je récolte enfin plusieurs centaines de courges (plus ou moins selon la taille des fruits et la vigueur des variétés). Pour ma part, je préfère les petits fruits. Plus pratiques à utiliser, et je privilégie la qualité culinaire à la quantité. Je fais également des courges à huile, peu productives, dont nous ne consommons que les graines. Nous donnons la chair aux animaux, et des courges de Siam qui sont également pour les animaux.
Vous souhaitez tester de nouvelles variétés de courges à cultiver ? Voici notre sélection des courges les plus intéressantes à cultiver au potager. Il y en a pour tous les goûts et toutes les utilisations.
Une fois la culture terminée, les maïs sont coupés au ras du sol et les racines laissées en place où elles se décomposent pendant l’hiver. Les tiges sont broyées, car elles fournissent une importante biomasse qui retourne au terrain.
Et faire une milpa sur petite surface ?
Cela pourra fonctionner, vous aurez simplement des résultats moins intéressants car il faut une certaine surface pour profiter de tous les avantages de ces trois plantes. Néanmoins, on peut tout à fait expérimenter sur petite surface ! On pourra ainsi adapter cette association à un potager familial, cultiver un peu de maïs doux sur les bords de planche pour les récolter au bon moment… Bref : s’approprier cette association, et la réadapter à nos besoins !
Bonnes expériences 😊
Merci pour cet article particulièrement complet qui s’appuie sur une solide expérience et une documentation fouillée.
J’ai appris beaucoup de choses qui vont même au delà de la milpa . Une seule chose reste mystérieuse pour moi : comment se fait l’apport en sucres du haricot vers le maïs ?
L’explication concernant l azote est particulièrement intérressante et bienvenue pour contredire ce qu on entend souvent : » le haricot fournit de l’azote au maïs » .
A ce propos un article sur pourquoi, comment, combien, quand, à qui , les fabacées fournissent elles de l azote serait intéressant. .
En tout cas je m abonne dès maintenant à la revue.
Merci Dominique pour ce message. Après relecture, je me rend que Laurence n’a jamais appuyé cet aspect, on va donc le retirer : sans preuve, difficile d’affirmer !
A très vite
Guillaume